Le Puy du Fou est assurément une grande réussite tirée d'un pari audacieux et qui a abouti à la création d'un parc immense proposant de multiples spectacles et animations qui occupent bien deux jours. Ce qui est remarquable est d'abord l'aménagement très réussi du parc. Tout a été méticuleusement pensé pour accueillir de très nombreux visiteurs dans les meilleures conditions, avec beaucoup d'installations, des jeux, des espaces de restauration diversifiés.
Le parc fonctionne sur un principe clé : impressionner les visiteurs par des mises en scène grandioses adossées à une thématique historique dramatisée, tirée notamment de l'Antiquité et du Moyen Age. C'est à la fois la force et la faiblesse du PDF, car la vérité historique y perd ce que le divertissement y gagne. La réponse de la communication du parc est toujours la même : nous faisons du divertissement, pas de l'histoire. Notre but est de raconter des histoires pour faire rêver, paravent bien commode ! Sauf que le slogan du parc est "Entrez dans l'histoire", ce qui implique que ce qui est montré respecte une certaine vérité historique.
Or, ce n'est pas le cas. Si les spectacles reposent sur un cadre ou des lieux historiques (les guerres de Vendée, le Colisée), l'histoire ne constitue qu'un décor pour faire passer des valeurs idéologiques qui sont celles de la droite catholique. Et là, on n'est plus dans le divertissement. C'est le résultat d'une ambiguïté qui ne dit pas son nom, or, comme le disait le cardinal de Retz, "on ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment." Il s'agit de déformer l'histoire en la prenant comme un prétexte afin de prendre une revanche idéologique sur la république française.
Les spectacles, par leur caractère très vivant, séduisent facilement. Ils célèbrent l'héroïsme, la fidélité, l'honneur... Aucun problème jusque là. Mais ces valeurs sont toujours mises en scène dans le cadre de la France du passé, ou de la Gaule : les martyrs gaulois chrétiens punis par le méchant gouverneur romain, le Graal du gentil Arthur, les vilains Vikings évangélisés par le doux Saint Philibert. Les mises en scène très manichéennes sont efficaces mais ne font pas vraiment preuve de finesse. Car le PDF produit un contre-discours régionaliste faisant la promotion de la Vendée royaliste contre la capitale. Rien par contre sur Clemenceau, peut-être le Vendéen le plus important du XXè siècle et qui a, excusez du peu, mené la France à la victoire en 1918 mais curieusement, il n'est pas même évoqué alors qu'un spectacle met en scène à l'été 2020 les "amoureux de Verdun". Le fait qu'il ait été radical, défenseur de la laïcité et bouffeur de curé n'a sans doute rien à voir avec son absence au Puy du Fou.
L'idée qui sous-tend la majeure partie des spectacles est que la France d'avant, celle des villages et des églises, était plus belle et meilleure que la France républicaine d'aujourd'hui. Si l'émotion est un moyen privilégié d'accéder à la connaissance, elle est ici un moyen de révérer les grandes figures du roman national telles Jeanne d'Arc, et d'une manière générale toutes les valeurs de la droite catho dont on se souvient qu'elle a bien eu du mal au XIXè siècle à accepter que la France devienne une république. A ce titre, le succès de ce parc est une belle revanche pour son fondateur, Philippe de Villiers, et dont un des fils est l'actuel directeur. Il n'est pourtant pas nécessaire de prendre les visiteurs pour des imbéciles, comme avec ce ridicule anneau de Jeanne d'Arc présenté comme historique.
Mais le problème principal du PDF est le discours tenu sur les guerres de Vendée. Ph. de Villiers s'obstine à vouloir défendre l'idée de "génocide vendéen" depuis 40 ans. Le succès du parc lui permet de promouvoir cette opinion historiquement fausse sous couvert de réalité historique. Car les meilleurs spécialistes de la Révolution sont d'accord pour réfuter le terme de "génocide", non seulement parce qu'il est anachronique, mais parce que, en assimilant les chefs révolutionnaires de 1793 à des nazis, porte un discours de désinformation sur la Révolution française. L'exemple du spectacle "Le dernier panache" est à ce titre édifiant : il présente la vie et l'engagement de François de Charette, un des chefs des "armées blanches" défendant la Vendée royaliste en 1793. Le spectacle en lui-même est formidablement mis en scène par une série de plateaux tournants, chacun présentant un moment différent de la vie du célèbre général joué par différents acteurs. Le moment le plus contestable montre une séance à la Convention où Robespierre parle d'"exterminer la Vendée". Le mot "exterminer" est répété trois fois et écrit une dernière fois à la fin pour ceux qui n'auraient pas compris. Tout est fait pour émouvoir le public sur le triste sort de la Vendée livrée aux hordes républicaines. Sauf que la réalité historique est un peu différente : si des massacres ont bien été commis en Vendée, ils ne relèvent pas d'un génocide car il n'y a pas eu de volonté systématique d'éliminer tout un peuple, qui d'ailleurs n'existait pas. "La Vendée" entièrement dressée contre la mobilisation générale décrétée par la Convention est une vision a posteriori et simplificatrice. Seule une partie de la Vendée était insurgée. Robespierre, présenté comme le bourreau des Vendéens, quasiment un nazi, a au contraire eu un rôle modérateur quand il a pris la tête du Comité de salut public, créé précisément pour contrôler les décisions de la Convention. En terme de manipulation historique, il est difficile de faire mieux. Quant à Charette lui-même, il était bien différent du chef courageux montré dans le spectacle. Il a fallu que les paysans aillent le chercher quasiment par la force pour qu'il accepte de prendre le commandement, ce qu'imposait pourtant sa qualité d'aristocrate. Comme héros on peut faire mieux !
Mon objectif n'est pas de dissuader les visiteurs d'aller au Puy du Fou, mais d'avertir où on met les pieds. En voulant à tout prix défendre une mémoire certes meurtrie, mais en le faisant sans nuance, ce parc défend une mémoire partielle et partielle, ce qui est dommage vu la qualité des spectacles.